Le visionnaire
Le grand sociologue, professeur et militant pour la paix et l’environnement Jean-Guy Vaillancourt est décédé le 12 août dernier à Brossard à l’âge de 78 ans. C’est une grande perte pour le Québec et pour des centaines d’étudiants qui, comme moi, ont eu l’immense bonheur et le privilège de croiser sa route. Son importante contribution en sociologie de la religion et de l’environnement est trop souvent méconnue du grand public, ainsi que son implication auprès de plusieurs mouvements sociaux.
Né à Chelmsford (Sudbury) en Ontario le 24 mai 1937, le jeune Franco-Ontarien a beaucoup souffert du manque de respect dont faisaient preuve les anglophones envers les francophones dans les années 50, ce qui fera en sorte qu’il deviendra par la suite un souverainiste québécois convaincu dans les années 70. Au début des années 60, Jean-Guy étudiait à l’Université Grégorienne de Rome en ayant pour objectif d’entrer dans l’ordre des Jésuites, mais a été vite détourné de sa vocation « par une belle Italienne », m’avait-il confié. Malgré tout, il restera toujours un homme très croyant qui ne cherchait jamais à imposer ses croyances religieuses aux autres. Disons qu’il désirait plutôt prêcher par l’exemple en s’impliquant socialement.
À son retour de Rome, il passera l’année 1965 comme professeur au Collège de Saint-Boniface à Winnipeg, où il aura une très grande influence sur ses étudiants, plus spécialement sur le jeune Franco-Manitobain Raymond Hébert, aujourd’hui professeur émérite à l’Université de Saint-Boniface. Il prendra ensuite le chemin de la Californie pour faire un doctorat en sociologie à l’Université de Bekerley sous la direction de Charles Y. Glock, puis il reviendra à Montréal en 1969 pour devenir professeur au Département de sociologie de l’Université de Montréal, où il enseignera jusqu’à sa retraite en 2007.
Il termine sa thèse de doctorat en 1975 et elle sera publiée en 1980 aux Presses de Bekerley sous le titre Papal Power. Cet ouvrage est encore aujourd’hui une référence incontournable dans l’étude des mécanismes et des réseaux d’influence que peut exercer une institution mondiale très centralisée comme l’Église catholique romaine. Il n’a malheureusement jamais été traduit en français.
Écosociologie
C’est dans les années 70 que Jean-Guy Vaillancourt s’engage plus à fond pour la paix dans le monde et surtout contre l’énergie nucléaire. Très influencé par la méthode de l’intervention sociologique du sociologue français Alain Touraine, il développe alors le concept d’écosociologie dans un livre qu’il publiera en 1982, Les essais d’écosociologie. Livre précurseur de la pensée des mouvements écologistes québécois, il reste aujourd’hui un document historique d’une inestimable valeur pour quiconque veut s’initier aux principes modernes de la sociologie de l’environnement au Québec et dans le reste du monde. Sa contribution aux sciences de l’environnement est tellement importante qu’il a reçu le prix Michel-Jurdant en environnement de l’Acfas en 2009 pour l’ensemble de sa carrière. Plusieurs personnalités québécoises dans le domaine de l’environnement reconnaissent l’apport considérable de son oeuvre et de ses enseignements à leur propre carrière : Corinne Gendron, professeure à l’UQAM, Steven Guilbault d’Équiterre, Bertrand Perron de l’Institut de la statistique du Québec et l’ex-conseillère municipale de la Ville de Montréal Josée Duplessis ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres des centaines d’étudiants que Jean-Guy a formés dans sa carrière.
J’ai rencontré Jean-Guy Vaillancourt au début des années 90 à l’Université de Montréal, dans un cours de sociologie des États-Unis (un de ses trois grands champs d’expertise). Il montait sur son bureau et ouvrait un parapluie en classe pour attirer notre attention ! Je voulais faire un mémoire en sociologie de la communication, mais j’ai décidé de bifurquer vers la sociologie des religions juste pour avoir le plaisir de travailler avec Jean-Guy Vaillancourt.
Visionnaire, Jean-Guy m’avait convaincu de faire ma thèse de doctorat sur les intégristes catholiques, car il prévoyait déjà l’importance que prendraient les divers intégrismes religieux au XXIe siècle. Dans le domaine de la sociologie des religions et de l’intégrisme, nous avons eu une fructueuse collaboration pendant près de vingt ans et nous avons publié notre dernière collaboration en 2009 avec la coédition du livre La religion à l’extrême chez Médiaspaul.
Tous les étudiants qui ont eu le privilège d’avoir Jean-Guy Vaillancourt comme directeur de thèse vous le diront : il était un mentor extraordinaire pour ses étudiants et un collègue généreux et affable avec ses collaborateurs. Il possédait une grande rigueur intellectuelle et une grande connaissance de ses champs d’expertise, même s’il détestait faire du classement et du ménage ! D’une grande humilité, il savait aussi comment valoriser ses étudiants sans que cela leur monte trop à la tête — c’était son petit côté jésuite !
Sur le plan intellectuel, l’apport de Jean-Guy Vaillancourt à la sociologie des religions et de l’environnement est significatif et durable. Son implication dans le développement des mouvements écologistes au Québec a été aussi très importante. Le Québec perd un grand humaniste, un pacifiste et un pionnier de l’écologie sociale.
Moi, j’ai perdu mon mentor et ami Jean-Guy.
Mais je continue de monter sur les bureaux dans ma classe…
Martin Geoffroy.