Ce texte représente l’opinion de son auteur et n’engage que ce dernier.

La semaine dernière, la majorité des membres du syndicat de l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal a voté en faveur de l’annulation d’une conférence ayant pour thème « Laïcité et éducation ». La militante et intellectuelle laïque Nadia El-Mabrouk avait été choisie par le syndicat pour prononcer cette conférence depuis plusieurs mois. Ce geste des membres du syndicat est certes maladroit, mais il est défendable dans la mesure où il ne s’agit pas d’une conférence publique, mais d’un colloque interne dont l’objectif principal est la formation continue des professeurs, ce n’est donc pas de la censure. C’est dans ce contexte que j’ai défendu la décision de mes collègues enseignants sur mon compte Twitter.

Or, lorsqu’il est question de la formation continue des professeurs, nous avons besoin d’entendre des faits plutôt que des opinions. Je connais très bien les positions de Mme. El-Mabrouk, j’ai même déjà eu une très longue conversation téléphonique avec cette dernière au sujet de l’islamophobie. Au CEFIR, nous avons une équipe de professeurs et d’experts qui a travaillé très fort pour produire un document pédagogique sur l’islamophobie qui fait la synthèse des points de vue sur le sujet, Mme. El-Mabrouk trouvait que notre document était « biaisé » parce qu’elle est convaincue, comme bien d’autres, que l’islamophobie n’existe pas. Elle choisit, par militantisme, de nier la réalité scientifique de l’islamophobie. Malgré cela, elle continue de bénéficier de nombreuses tribunes pour exprimer ses opinions sur presque tous les grands sujets de l’heure. Il n’est pas question ici de censurer les opinions de Mme. El-Mabrouk, mais de bien comprendre qu’il s’agit des opinions d’une militante engagée dans un combat politique et que ces mêmes opinions doivent être contextualisées pour le personnel enseignant par des spécialistes. Je pense donc qu’il aurait été préférable d’inviter des chercheurs qui se spécialisent dans le domaine de la laïcité plutôt qu’une militante qui base essentiellement ses opinions sur ses expériences personnelles pour que les professeurs puissent avoir l’heure juste sur la thématique. J’ai d’ailleurs suggéré les noms de deux chercheurs universitaires pour remplacer Mme. El-Mabrouk et ce, même si je suis très critique de leurs travaux concernant la laïcité, je reconnais leur champ d’expertise. Il n’est donc pas question ici de mettre de l’avant ma position sur le sujet, mais de favoriser la diffusion de données et d’analyses éclairantes sur le sujet au lieu d’opinions polarisantes que nous entendons tous les jours.

Or, Paul Journet, dans un éditorial publié dans La Presse le 29 janvier, s’aventure à me faire la leçon sur les divers niveaux de connaissances en m’expliquant que les opinions de Mme. El-Mabrouk ont une valeur parce qu’elles sont basées sur le fait qu’elle a vécu en Tunisie et qu’elle est de culture musulmane. Selon M. Journet, « les témoignages des membres de communautés religieuses sont essentiels pour comprendre la diversité ». Outre le fait qu’il s’adresse à un sociologue des religions qui amasse des entrevues avec des membres de communautés religieuses depuis plus de vingt ans, M. Journet semble oublier que Mme. El-Mabrouk est loin de représenter les diverses communautés musulmanes du Québec. Le problème c’est que l’on entend toujours les mêmes témoignages dans les médias provenant de militants qui polarisent justement le débat entre deux factions politiques et qu’il ne servira à rien de nous rabattre les oreilles milles fois avec les mêmes arguments provenant de ceux-ci.

M. Journet s’égare quand il prétend que je serais un chercheur biaisé et idéologique qui réclame le monopole de la science pour « protéger son statut et ses subventions ». Contrairement aux médias qui peuvent recevoir des subventions directes de la part des divers paliers de gouvernement, les chercheurs doivent soumettent périodiquement leurs demandes de subventions à des comités de pairs très rigoureux et ils ne les obtiennent pas toujours. Et contrairement à un journaliste, un fonctionnaire n’a pas à défendre son statut, puisqu’il a accès à la permanence. Ces allusions malveillantes de M. Journet n’ont aucunes justifications.

Je ne réclame pas le monopole de la science, mais j’affirme que les institutions scolaires doivent faire la promotion des faits et de la science avant de se lancer dans des débats polarisants. Il y a déjà assez d’opinions dans les médias, l’objectif de l’école est plutôt de produire de la connaissance pour que nos élèves puisque faire des choix libres et éclairés. Cela n’empêche pas le débat d’avoir lieu dans nos écoles, mais ce dernier doit être encadré par une pédagogie élaborée par des professionnels de l’enseignement.

Il faut construire une démocratie de la connaissance au lieu d’une démocratie des crédules.

 

Martin Geoffroy, Ph.D.

Directeur du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR)

Professeur en sociologie au Cégep Édouard-Montpetit