Le mercredi 11 septembre 2019, le CEFIR a reçu des chercheurs ouest-africains, marocains et canadiens pour un colloque d’une journée sur le thème « Religion et radicalisation en Afrique de l’Ouest et au Maghreb ». Le hasard du calendrier voulait que cet événement ait lieu le jour de l’anniversaire des attentats terroristes d’Al Qaeda du 11 septembre 2001, occasion de constater qu’une génération plus tard, le phénomène djihadiste est loin de s’être résorbé, mais s’est au contraire étendu. Les différentes présentations ont montré que l’extrémisme religieux doit être abordé en relation avec les divers contexte sociaux et politiques afin d’être compris.
Le premier panel s’intéressait aux groupes djihadistes en Afrique de l’Ouest. Mahamadou Bello, doctorant à l’Université Abdoul Moumouni de Niamey et chercheur associé au Laboratoire d’études et de recherche sur les dynamiques sociales et le développement local (LASDEL), a abordé l’implantation de Boko Haram dans la ville de Diffa, dans le sud-est du Niger. Il a décrit comment l’année 2009 a constitué une rupture et un balancement du groupe vers la violence. Auparavant, Boko Haram était vu comme une organisation musulmane comme les autres, insérée dans les débats religieux. Suite à la répression du groupe au Nigeria, ses adeptes se sont engagés dans la lutte armée. Bello a montré les principaux facteurs de recrutement des jeunes par Boko Haram, notamment l’exploitation du sentiment de marginalisation des jeunes exclus de l’éducation formelle.
Isabelle Lemelin, chercheuse postdoctorale au CEFIR, a livré une analyse du traitement médiatique des attentats commis par des femmes dans le groupe Boko Haram. Cette présentation a permis de comprendre l’ambiguïté des représentations de l’engagement des femmes dans les groupes extrémistes, notamment dans un contexte où de très jeunes femmes et filles ont commis des attentats « suicide », sans qu’il soit possible de déterminer à quel point leur engagement est volontaire ou forcé. Lemelin a donc bien montré comment les médias québécois ont du mal à sortir des clichés de genre, présentant ces femmes soit comme victimes sans initiatives ou comme fanatiques dangereuses.
Enfin, ce panel s’est clôt par la présentation de Modibo Galy Cissé, doctorant au Centre d’études africaines de l’Université de Leiden. Ce dernier a montré comment une partie de la population d’éleveurs peuls du centre du Mali s’est engagée dans le djihad au sein de groupes liés au réseau Al Qaeda. Le souvenir de la grandeur disparue des États peuls du XIXe siècle ainsi que les tensions sociales contemporaines, aggravées par la corruption de l’État et des politiques de développement faites au détriment des éleveurs, conduisent de nombreux jeunes peuls à s’engager auprès des groupes djihadistes pour regagner dignité et position sociale avantageuse.
Le second panel était consacré au Maroc, pays qui a la particularité d’être gouverné par un système de lois se voulant en conformité avec l’islam. Mounia Aït Kabboura, chercheuse postdoctorale à l’Université McGill et chercheuse associée au CEFIR, a montré comment l’État marocain arrive à absorber les contestations islamistes au sein de son système de gouvernance. Ce faisant, le régime du Makhzen, alliant gouvernement traditionnel du roi et appareil d’État moderne, se perpétue et verrouille les débats.
Pour sa part, Mohamed Fadil, professeur de sociologie à l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès et chercheur associé au CEFIR, a présenté le régime politique marocain sous l’angle de sa résilience face à l’extrémisme. Pour lui, si le système de gouvernance islamique du Maroc pose problème à plusieurs plans, il contribue toutefois à préserver le pays du terrorisme djihadiste mieux que les autres régimes arabes. En témoigne l’apparition beaucoup plus tardive du phénomène et son ampleur bien moindre que dans les pays voisins.
Pour clore le second panel, Wassila Benkirane, professeure à l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès, a analysé en détail des manuels d’éducation religieuse marocains sous l’angle de leur traitement du genre. Elle a montré que, malgré la réforme de 2017, le contenu est resté presque inchangé et que les auteurs préfèrent éviter les questions touchant le genre (port du voile, héritage) plutôt que de présenter des points de vue contradictoires.
Le dernier panel a débuté par la présentation de Sayouba Savadogo, chercheur associé à la Chaire Islam contemporain en Afrique de l’Ouest de l’UQÀM. Ce dernier a présenté la réalité, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire, des jeunes scolarisés dans les écoles privées islamiques, dont l’apprentissage se fait essentiellement en arabe. Orientés par la suite vers les universités du monde arabe, leur savoir n’est pas reconnu à leur retour et ils se retrouvent marginalisés et rejetés vers la sphère religieuse. Cette situation de marginalisation crée des frustrations et pousse certains à rejeter l’ordre socio-politique existant et peut favoriser l’implantation de l’extrémisme.
Enfin, le directeur adjoint du CEFIR Louis Audet Gosselin a présenté sur la communauté évangélique burkinabè et son rapport ambigu avec l’islam et avec le mouvement djihadiste. Bien que non-violent, le christianisme évangélique comprend des tendances qui véhiculent une vision de l’islam comme force diabolique et qui s’affairent activement à convertir des musulmans, créant des tensions dans les communautés. Certains fidèles plus zélés peuvent ainsi contribuer à faire le lit des mouvements djihadistes en contribuant au délitement du tissu social.
Ce colloque aux présentations très relevées a permis à des chercheuses et chercheurs d’entrer en contact et de lancer des projets de collaborations futures. Les présentations seront bientôt disponibles sur le canal YouTube du CEFIR.