logocefir_307x299L’un des points de débat centraux au sein des recherches sur l’extrémisme et la radicalisation porte sur le degré d’importance à accorder au contenu idéologique dont se réclament les militants radicaux. Dans le cas des militants djihadistes, beaucoup de recherches ont mis l’accent sur la fragilité psychologique de certains individus, sur leur marginalisation économique, sur l’expérience vécue ou perçue de discrimination ou encore sur le contexte politique et économique pour expliquer leur glissement vers des modes de pensée et d’action radicaux. Au Québec, les travaux du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (2017), du Conseil du statut de la femme (2016) et de SHERPA (2016) allaient en ce sens. Cette approche renvoie à la thèse de « l’islamisation de la radicalité » d’Olivier Roy, selon laquelle le djihadisme serait avant tout l’aboutissement d’une quête de radicalité en soi, l’islam jouant un rôle d’enrobage d’un désir de violence et de mort. À l’inverse, d’autres chercheurs tentent de mettre l’accent sur l’attraction exercée par certaines idéologies radicales qui promettent une transformation complète de la société comme facteur central de la radicalisation. C’est l’un des postulats de départ du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux et la radicalisation (CEFIR), qui entend mettre l’accent sur les dimensions religieuses et idéologiques dans le processus de radicalisation. Les recherches menées auprès de combattants djihadistes par Lorne Dawson, membre du CEFIR, et Amarnath Amanasingam semblent le confirmer en soulignant que ces combattants insistent presque uniquement sur leur engagement religieux et idéologique comme facteur d’implication dans la lutte armée (Dawson et Amanasingam 2017).

Une importante étude internationale pilotée par l’anthropologue américain Scott Atran et publiée dans la prestigieuse revue Nature (2017) vient renforcer ce dernier postulat. Elle met en lumière l’importance centrale de la priorisation d’une idéologie considérée comme sacrée sur l’ensemble des autres considérations (famille, groupe de pairs) comme prédicteur de succès sur les champs de bataille. Menée à partir d’entretiens auprès de combattants djihadistes et anti-djihadistes en Irak, cette enquête révèle en effet que l’ensemble des acteurs considèrent le facteur « spirituel », soit l’abandon de toute solidarité et considération terrestre au nom d’une cause, comme l’élément le plus important dans l’engagement militaire. De plus, les chercheurs ont remarqué que les combattants les plus déterminés au plan spirituel, notamment ceux de l’État islamique et du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), rejetaient toute explication de leur engagement outre leur volonté de faire triompher une cause sacrée.

Ainsi, sans remettre en cause l’importance d’autres facteurs ni prendre les dires de militants radicalisés au premier degré, ces travaux renforcent la volonté du CEFIR d’explorer les contenus idéologiques dans les processus de radicalisation. Dans le cas des radicalismes religieux, il s’agit d’explorer les doctrines religieuses extrémistes pour comprendre comment leur contenu peut attirer une frange importante des populations au Québec et ailleurs. Cette approche ne constitue en rien une volonté de stigmatiser une religion ou une tendance particulière. Les chercheurs en sciences sociales n’ont pas non plus vocation à jouer un rôle de théologien en déterminant le « vrai » sens des textes religieux. L’objectif est simplement de prendre les acteurs sociaux au sérieux, fussent-ils extrémistes, et tenter de comprendre de l’intérieur leurs motivations et aspirations.

Nature (2017)

 

Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (2017), Enjeux et perspectives de la radicalisation menant à la violence en milieu scolaire, Rapport de recherche, Montréal.

Conseil du statut de la femme et Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (2016), L’engagement des femmes dans la radicalisation violente, Rapport de recherche, Montréal.

Dawson, Lorne et Amarnath Amanasingam (2017). « Talking to Foreign Fighters: Insights into the Motivations for Hijrah to Syria and Iraq », Studies in Conflict & Terrorism, 40:3, 191-210.

Gomez, Angel et coll. (2017), « The devoted actor’s will to fight and the spiritual dimension of human conflict », Nature Human Behaviour, 1, p. 673-679.

SHERPA (2016), Le défi du vivre ensemble : Les déterminants individuels et sociaux du soutien à la radicalisation violente des collégiens et collégiennes au Québec, Rapport de recherche, Montréal