Le 15 novembre se tenait le colloque Fanatisme et mort organisé par le Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux et la radicalisation (CEFIR). Cette initiative s’inscrivait dans le volet « expertise » de la mission du CEFIR, qui vise à apporter une contribution à l’avancement des connaissances scientifiques sur les enjeux liés à la radicalisation et aux intégrismes religieux. Ce colloque réunissait huit chercheurs renommés dans une discussion autour de la thèse d’Olivier Roy (Le djihad et la mort, Paris, Seuil, 2016). Ce dernier défendait l’idée que le djihadisme contemporain en Occident est principalement motivé par un désir de mort spectaculaire et nihiliste plutôt que par une volonté de voir s’établir un système alternatif ici-bas.

Ce colloque était l’occasion pour Mme Dominique Bérubé, vice-présidente du volet recherche du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) de visiter le CEFIR et de prendre la mesure de la qualité de la recherche effectuée au niveau collégial. Le CEFIR est principalement financé par une subvention du Fonds d’innovation sociale destiné aux communautés et aux collèges du CRSH obtenue par le professeur Martin Geoffroy pour la période 2016-2019.

Les participants au colloque ont exploré le lien entre fanatisme et mort de multiples points de vue disciplinaires et théoriques. Tout d’abord, le professeur et chercheur associé au CEFIR Louis Brunet, du département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), a analysé comment chez certains individus, des blessures narcissiques et identitaires peuvent mener à lever les inhibitions qui, autrement, contrôlent la pulsion de mort. Sa présentation s’intitulait « La violence cache plus qu’elle ne dévoile. Des pulsions aux souffrances ».

Isabelle Lemelin, récemment diplômée d’un doctorat en sciences des religions à l’UQÀM et chercheuse postdoctorale à l’Université de Montréal, a poursuivi les débats avec une présentation sur « Le trop-plein de l’imaginaire djihadiste ». Elle y a critiqué l’approche de Roy en soulignant, sur la base de travaux menés en Palestine occupée, comment les djihadistes, plutôt qu’un nihilisme, reconstruisent une nouvelle figure du martyr et du « témoignage » musulman dans le monde du XXIe siècle. Il ne s’agit donc pas pour elle d’une forme de nihilisme, mais bien d’une recomposition des notions de mort pour les besoins d’une idéologie extrême.

Ali Dizboni, co-chercheur du CEFIR et professeur de sciences politiques au Collège militaire royal de Kingston, a quant à lui comparé les notions chiites et sunnite-salafiste de la mort et du martyr dans « L’épistémologie de la mort : Comparaison des conceptions sunnite salafiste et islamiste chiite ». Il a notamment mis de l’avant que les djihadistes contemporains dérogent substantiellement des conceptions classiques du martyr telles qu’acceptées dans la plupart des traditions.

La présentation principale était celle de Monique Lauret, psychiatre et psychanalyste œuvrant à Toulouse et associée au Centre d’action et de prévention contre la radicalisation des individus (CAPRI) de Bordeaux. Sa présentation intitulée « La pulsion de mort dans le champ du fanatisme idéologique » comparait les militants djihadistes contemporains au fanatisme nazi et au maoïsme. Ses analyses de cette dernière idéologie étaient basées sur un travail de plusieurs années effectué en Chine, où elle contribue à diffuser la psychanalyse. Mme Lauret a mobilisé la notion freudienne de pulsion de mort pour aider à comprendre l’éclosion de mouvements extrémistes et destructeurs, en plus d’explorer des pistes de solution pour construire des sociétés plus résilientes.

En après-midi, le directeur du CEFIR et professeur au Cégep Édouard-Montpetit Martin Geoffroy a décrypté un mouvement marginal en forte progression depuis le début du XXIe siècle dans « La face cachée du mouvement survivaliste : De l’eschatologie chrétienne à la fiction individualiste. » Faisant l’historique de l’idéologie survivaliste, il a montré les liens qui unissent cette mouvance, obsédée par l’imminence de la fin du monde, avec certaines franges du fondamentalisme chrétien. Cette présentation a été visiblement appréciée par les nombreux étudiants de M. Geoffroy venus entendre les résultats de recherche de leur enseignant.

Marc Imbeault, professeur-praticien du CEFIR et professeur de philosophie au Collège militaire royal de Saint-Jean a nuancé thèse d’Olivier Roy dans sa communication intitulée « La violence contre soi-même ou le nihilisme au cœur du terrorisme contemporain ». M. Imbeault s’est basé sur les travaux d’Hélène L’Heuillet sur les attentats-suicides. Il a souligné qu’une frange réduite mais bel et bien existante de militants djihadistes sont poussés par une forme de nihilisme à tuer et se faire tuer, mais que la recherche de ce type de militants constituait un casse-tête pour les groupes djihadistes. Sa présentation était empreinte d’une forte charge émotive étant donnés les liens intimes et tragiques entre attentats suicides et le Collège militaire suite à l’attaque d’octobre 2014 qui avait coûté la vie au collègue de M. Imbeault, l’adjudant Patrice Vincent.

La dernière communication, animée par le chercheur associé au CEFIR et professeur en études théologiques à l’Université Concordia André Gagné ainsi que le doctorant Marc-André Argentino, également de l’Université Concordia, avait pour titre « L’idéologie de la mort et ses représentations dans la propagande du groupe armé État islamique ». Basée sur l’analyse des discours contenus dans les productions médiatiques de l’État islamique à destination de ses membres et de potentielles recrues, cette présentation a bien fait comprendre que la mort s’inscrit, pour cette organisation, dans une stratégie précise au service d’une idéologie reposant sur une relecture des traditions islamiques du djihad et du martyr. Cette présentation a été l’occasion de rappeler l’importance des travaux empiriques dans l’analyse des mouvements radicaux et la nécessité de prendre au sérieux les discours des militants extrémistes.

Le directeur adjoint du CEFIR Louis Audet Gosselin a clôt la journée avec l’animation d’une discussion générale où il a réitéré les limites des « contre-discours » et appelé à revisiter la question de la violence dans les changements sociaux.

Ce colloque a permis de susciter des échanges fructueux entre les spécialistes sur une question de recherche au centre de l’analyse de l’extrémisme. Il a également fourni une occasion pour les étudiants du Cégep Édouard-Montpetit de se familiariser avec le format d’un colloque universitaire. Enfin, des membres de la communauté collégiale (employés, Fédération des Cégeps) et de la région (policiers, résidents de Longueuil) ont également pu bénéficier de cette activité. En plus de la centaine de personnes qui ont assisté aux diverses sections du colloque, ce dernier sera bientôt disponible en ligne sur le canal YouTube du CEFIR pour un plus grand rayonnement.

Fort de ce succès, le CEFIR compte organiser de nouveaux colloques en 2018 afin d’explorer d’autres dimensions de l’extrémisme religieux et idéologique.